la donation avant cession : transmettre son patrimoine en optimisant la fiscalité
Souvent, le dirigeant actionnaire se concentre en premier lieu sur la cession de son entreprise et aborde ensuite une réflexion sur la transmission du produit de cette cession. Inverser cette chronologie, à savoir effectuer une donation des titres puis gérer la vente de ces derniers, permet à la fois d’anticiper la transmission du patrimoine et d’optimiser la fiscalité de cession.
En effet, le chef d’entreprise qui va céder les titres de sa société, puis transmettre tout ou partie du prix de la cession à ses enfants, va être assujetti à une double imposition : sur la plus-value et sur la donation.
-> la plus-value réalisée lors de la cession est soumise à l’impôt sur le revenu, aux prélèvements sociaux et parfois à la Contribution Exceptionnelle sur les Hauts Revenus (CEHR).
-> Ensuite, la donation des capitaux est assujettie aux Droits de Mutation à Titre Gratuit (DMTG), avec l’application des abattements prévus pour les transmissions en ligne directe. Malgré ces abattements (jusqu’à 100 k€ par enfant), les droits de donation peuvent être importants si la valeur des titres est élevée.
Si le cédant commence par la donation des titres de sa société à ses enfants, seule la donation est soumise à taxation, au-delà des 100 k€ par enfant et par parent (DMTG). L’imposition des plus-values mobilières est ainsi minimisée ou gommée. En effet, lors de la cession de l’entreprise, l’enfant vendra ses parts mais sans réaliser de plus-value car cette dernière sera calculée en fonction de la différence entre le prix de cession et la valeur retenue lors de l’acte de donation. Si la revente intervient peu de temps après la donation, la plus-value taxable sera quasi inexistante.
Cas pratique
Monsieur Mauvanne envisage de céder son entreprise, la Société AB5V. Il pense rester en activité aux côtés du futur repreneur jusqu’à sa retraite dans 3 ans.
Voici 2 hypothèses : cession sans donation anticipée à ses 2 enfant puis cession avec anticipation.
Hypothèse n°1 : conséquences fiscales d’une cession en l’état
Pour memo : Dans le cadre d’une cession de ses titres, le chef d’entreprise est imposable personnellement à l’impôt sur le revenu sur la plus-value réalisée. Elle est soumise de plein droit à la flat tax au taux de 12,8 % auquel s’ajoutent 17,2 % de prélèvements sociaux et potentiellement la Contribution Exceptionnelle sur les Hauts Revenus (3 % et 4% selon revenu de référence).
Régime de plein droit Flat Tax
prix de cession entreprise | 20 000 K€ |
prix d’acquisition entreprise | 8 K€ |
plus value imposable | 19 992 K€ |
IR (12,8%) | 2 559 K€ |
prélèvements sociaux (17,2%) | 3 439 K€ |
CHER (3 et 4%) | 787 K€ |
total impôts | 6 785 K€ |
En l’absence d’anticipation, la situation serait la suivante : scénario d’une cession de titres suivie d’un décès de Monsieur Mauvanne et d’une transmission du produit net de cession aux deux enfants :
produit de cession entreprise | 20 000 K€ |
impôts sur la plus value | 6 785 K€ |
net à transmettre | 13 215 K€ |
droits de succession (45%) | 5 947 K€ |
net transmis aux enfants | 7 268 K€ |
% de la valeur de cession de l’entreprise | 36,34% |
Hypothèse n°2 : Donation suivi de Cession
Monsieur Mauvanne, suite à prise de conseil, souhaite anticiper la transmission de son patrimoine au profit de ses deux enfants. Il effectue une donation devant notaire par acte authentique. Cette donation prend la forme d’une donation-partage afin d’éviter toute réévaluation des biens donnés au moment du décès et de figer les valeurs au jour de la donation.
–> donation de la nue-propriété d’actions à hauteur de 5 millions d’euros (avec une stipulation prévoyant un report du démembrement) ;
–> donation de la pleine propriété d’actions à hauteur de 2,8 millions d’euros afin de permettre aux enfants de prendre en charge l’impôt de plus-value dû en N+1, et de rembourser le crédit qui leur a été octroyé pour acquitter les frais et droits de donation.
Le coût de la donation est le suivant :
valeur usufruit | 50%* |
valeur en pleine propriété des actions à transmettre en démembrement | 5 000 K€ |
valeur de la nue propriété des actions | 2 500 K€ |
valeur des actions à transmettre en pleine propriété | 2 800 K€ |
montant total de la transmission | 5 300 K€ |
montant donné par enfant | 2 650 K€ |
abattement disponible * | 100 K€ |
montant taxable | 2 550 K€ |
droit de donation | 910 K€ |
total de droits de donation | 1 820 K€ |
frais d’acte | 100 K€ |
total des frais dus par les donataires | 1 920 K€ |
total des frais dus par enfant | 960 K€ |
Les coûts liés aux droits de mutation à acquitter seront pris en charge par les donataires à l’aide d’un crédit bancaire. Il est néanmoins possible que le donateur prenne à sa charge ces coûts, ce qui sera considéré comme une donation non taxée.
A noter :
- En cas de cession ultérieure des actions, les donataires devront acquitter l’impôt sur la plus-value générée entre la date de la donation et la date de la cession. Pour le calcul de cette dernière, le prix d’acquisition est augmenté des frais d’acquisition (droits de donation et frais de notaire), ce qui peut, le cas échéant, générer une moins-value.
- Les moins-values subies au cours d’une année sont imputables prioritairement sur les plus-values de même nature (de source française ou étrangère) réalisées au cours de la même année (N), puis sur celles des dix années suivantes (N+10).
Il n’y aura pas de plus-value sur les titres transmis en pleine propriété, celle-ci étant purgée (du fait de la réévaluation du prix de revient). Toutefois, une plus-value sera due sur la quote-part d’usufruit conservée par Monsieur Mauvanne. Les enfants recevant la nue-propriété seront redevables de cette imposition.
Ainsi, l’impôt de plus-value dû par chaque enfant serait le suivant :
NP reçue par enfant | PP reçue par enfant | |
valeur PP au jour de la cession | 2 500 K€ | 1 400 K€ |
valeur d’acquisition | 1 250 K€ | 1 400 K€ |
droits et frais acquittés | 960 K€ | 960 K€ |
plus-value nette imposable * | 290 K€ | 290 K€ |
impots plus-value ** | 88 K€ | 88 K€ |
accroissement de valeur de l’usufruit : (50%* (5 000 K€-2 K€) / 2 = 1 250 K€ / accroissement de valeur de la nue-propriété : (50%* (5 000 K€-5 000 K€) / 2 = 0 K€
Plus value nette imposable : (1 400 K€ – 1 400 K€) + ( 1250 K€+0 K€) – 960 K€ = 290 K€
** hypothèse retenue de l’imposition au PFU / CEHR au taux de 3%
A la suite des donations, Monsieur Mauvanne disposera d’un produit brut de cession de 12,2 millions d’euros.
Synthèse de l’opération :
sans donation | donations avant cession | |
prix de cession entreprise | 20 000 K€ | 20 000 K€ |
Monsieur Mauvanne PP | 20 000 K€ | 12 200 K€ |
Monsieur Mauvanne NP | 2 500 K€ | |
enfants NP | 2 500 K€ | |
enfants PP | 2 800 K€ | |
impôts sur la plus-value (PFU) | 6 785 K€ | 4 310 K€ |
coût global | 6 785 K€ | 6 231 K€ |
prix de cession net de fiscalité | 13 215 K€ | 15 690 K€ |
Avec les flux financiers :
Monsieur Mauvanne PP | 13 215 K€ | 12 200 K€ |
Monsieur Mauvanne NP | 2 500 K€ | |
enfants NP | 2 500 K€ | |
enfants PP | 703 K€ | |
impôts sur la plus-value (PFU) | 36,34% | 22% |
Avec la donation
–> chaque enfant dispose de capitaux en pleine propriété : 350.000 euros
–> une enveloppe de 5 millions d’euros peut être réemployée en démembrement de propriété dans des supports financiers ou au travers d’une société civile de placement avec report du démembrement sur les parts de cette dernière (par subrogation) pour une meilleure organisation des pouvoirs à travers les statuts notamment ;
–> Monsieur dispose d’un capital net de 8 millions d’euros.
Ainsi en anticipant, la part du patrimoine transmis s’élève à 51% :
donation avant de cession entreprise | 20 000 K€ |
impôts et DMTG | 6 230 K€ |
net à transmettre | 8 070 K€ |
droits de succession (45%) | 3 630 K€ |
net perçu par les enfants | 10 140 K€ |
part du patrimoine transmis | 51% |
Bien que le montant des frais et droits de donation s’élève à 1,922 million d’euros (TMI au taux de 45%), les enfants perçoivent à terme 51% du produit de cession, soit 2,87 millions d’euros de plus qu’en l’absence de donation avant cession.
–> Ce gain n’intègre pas la potentielle plus-value qui pourrait être générée sur le placement du capital démembré à hauteur de 5 millions d’euros. En l’état actuel de la législation, la réunion de l’usufruit et de la nue-propriété s’effectue à terme sans taxation supplémentaire. Cela revient à une exonération de droits de succession sur la plus-value constatée.
Il convient néanmoins de s’interroger sur le devenir du produit de cession démembré.
A noter : donation avant cession suivie de la constitution d’un quasi-usufruit sur le prix de vente -> ce sujet est source de contentieux, en raison du large pouvoir de disposition dont bénéficie l’usufruitier.
Le Conseil d’Etat (CE, 31 mars 2017, n°395550) a confirmé la possibilité de prévoir un quasi-usufruit sur les sommes issues de la cession sans remettre en cause la réalité de la donation. Mais l’introduction d’une mesure anti-abus, dans le cadre de la loi de finances pour 2024 ne joue pas en faveur du quasi-usufruit.
L’article 774 bis du CGI vise les constitutions de quasi-usufruits à l’occasion de la donation d’une somme d’argent. Il introduit une présomption de fictivité pour les quasi-usufruits portant sur le prix de vente de biens démembrés. Le texte exige du contribuable qu’il prouve que le quasi-usufruit n’a pas été constitué dans un objectif principalement fiscal.
Dans la pratique, la nécessité de faire coïncider le redevable de l’impôt avec le bénéficiaire du produit de cession peut conduire à attribuer le prix de cession à l’usufruitier. Si les parties ne conviennent rien, le prix est réparti entre nu-propriétaire et usufruitier pour la valeur de leur droit respectif ; chacun est redevable de l’impôt sur sa quote-part.
S’ils souhaitent maintenir le démembrement, ils devront choisir entre le report du démembrement sur un nouvel actif ou l’attribution du prix de vente à l’usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit. Ce choix n’est pas neutre fiscalement : dans la première hypothèse, le nu-propriétaire sera redevable de l’impôt, sur l’accroissement de la valeur de l’usufruit et, le cas échéant, sur la plus-value afférente à la nue-propriété, alors que dans la seconde, ce sera l’usufruitier. En cas de remploi sur un actif démembré, le nu-propriétaire devra alors acquitter seul l’impôt sans pour autant percevoir de liquidités en pleine-propriété.
Nous conseillons de transmettre les titres quelques années avant, et non à la veille de la vente de l’entreprise. La donation peut être couplée avec un pacte Dutreil.
Nous restons à votre disposition pour étudier avec vous la stratégie qui sera la mieux adaptée à votre entreprise.